Bonjour Cyrine,
Je vous remercie pour le temps que vous passez pour répondre à nos questions. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et raconter votre évolution équestre ?
Je m'appelle Cyrine Chérif, je suis cavalière de saut d’obstacle française. Cependant, je suis basée au Qatar depuis 12 ans maintenant. Je passe six mois de l'année là-bas, et l'autre moitié, l'été, je le passe en Europe. Cela dépend des années, parfois je suis aux Pays-Bas, parfois en France. Je suis en ce moment en Allemagne, chez Marc Ehning. Voilà, j'ai travaillé pendant longtemps à Al-Shaqab au Qatar, j'avais beaucoup d'élèves. Et j'ai arrêté il y a 2 ans pour me consacrer à ma carrière sportive !
Vous faites du concours depuis bien longtemps, alors il est sûr que vous avez vécu des défaites et des victoires. Donc quelle est votre plus grande fierté ? Et au contraire, votre plus grande déception ?
Ma plus grande fierté, je pense que c'est d'avoir pu atteindre le niveau où je suis déjà, sans avoir des parents qui sont dans le milieu équestre. Sans sortir d’un milieu aisé, on vit bien mais on n'est pas non plus millionnaire. Il est vrai que dans le sport ce n’est pas facile d'accéder au haut niveau sans l'aide financière familiale. Mais j’ai eu la chance d'avoir des sponsors qui ont cru en moi, qui m'ont soutenue et m'ont aidée à atteindre ce niveau-là ! Je pense que déjà pour moi c'est une très grande fierté d'être là où je suis arrivée. Après les déceptions et les défaites, c'est sûr qu'on en a plein, mais je pense qu'il faut passer outre, et il faut avoir son objectif en tête et juste continuer.
Quels sont vos objectifs pour cette fin d'année ?

Pour cette fin d'année, alors déjà pour finir l'été, je vais aller à Valkenswaard faire les deux et quatre étoiles. Mon objectif est de performer, de faire des bons résultats à ce niveau-là. On fait de bonnes performances sur les deux et trois étoiles, et mon but est de commencer à vraiment réussir sur 150-155. Ensuite je vais retourner au Qatar vers septembre-octobre, parce qu'on a la saison nationale et aussi internationale.

Le Mag’Equestre vous invite à la découverte du Cyrine Cherif. Cette cavalière française de saut d'obstacle performe jusqu'en 4 étoiles, à la fois en Europe et au Moyen-Orient. Elle est aussi la créatrice de The Show Jumping Blog et évolue chez Ajwad Equestrian Team. Nous avons eu la chance de la rencontrer pendant le Jumping de Monaco. Nous vous souhaitons une bonne lecture.

© Ljuba Buzzola

On va maintenant passer sur vos chevaux. Quel est celui qui vous a le plus marqué dans votre carrière ? Et ceux en qui vous croyez beaucoup ?
C’est une question tellement difficile… Le problème c'est que chaque cheval a une histoire pour moi. Là, maintenant, tout de suite, je dirais que j'ai I ‘Am Moerhorve’s Princess Z, qui m'a amenée jusqu'au Grand Prix 1m55, un 4 étoiles. Je pense qu'elle est particulière pour moi parce qu'elle m'a amenée au niveau où je voulais être. Un cheval en qui je crois beaucoup c'est Triple T Calamando Blue, âgé de huit ans. Lui, j'y crois vraiment beaucoup ! Chaque cheval a son histoire, donc c'est vrai qu'ils m'ont tous marquée. Alors, j'ai eu beaucoup de chevaux, oui, et cela dépend, comment ils sont rentrés dans ma vie

Au cours de votre carrière sportive, vous avez eu de nombreuses montures comment les choisissez-vous ?

Je dois dire que maintenant, j'ai quelqu'un qui cherche les chevaux pour moi, à qui je fais confiance. Ce n'est pas facile de faire confiance à tout le monde. Je ne travaille qu'avec une personne, plus ou moins, qui me connaît très bien et qui sait comment je monte. Donc, quand je cherche un cheval, je lui demande directement. La plupart du temps je fonctionne de cette façon. Comment j’aime mes chevaux ? Ils sont tous différents mais je les aime tous. Après, c'est quand je m'assois dessus, c'est le feeling. J'aime ou je n'aime pas !

© Ljuba Buzzola

On va faire un petit break sur les chevaux. En parlant de planning, vous habitez au Qatar. Comment vous êtes arrivée à prendre cette décision de changer de pays ?
Je suis allée au Qatar, il y a douze ans, avec ma famille, ma mère et mon frère. C'est plus ma mère qui nous a incités à y aller. Il est vrai que j'étais très contente parce que j'adore le Moyen-Orient. A la base, on devait partir à Dubaï, mais finalement, on a choisi le Qatar parce qu'il y avait plus d'opportunités. Nous nous sentons très bien là-bas. Et puis après, j'ai trouvé des aubaines dans les chevaux. J'ai fait mon bout de chemin là-bas. On a suivi sans réfléchir.
Tous les cavaliers comprendront ce que vous dites ! Vous avez en ce moment 3 chevaux, comment organisez-vous le planning de compétitions ?
Alors, j'essaie de ne pas faire plus que deux week-ends d'affilée. Ils font deux concours par mois environ, trois maximums. Si je vois que c'est un peu trop, je vais en concours mais je ne fais que deux jours au lieu d'en faire trois. Cela dépend de l'énergie de chacun. J'ai une jument, elle a un peu moins d'énergie, elle fatigue au troisième jour. Donc, je préfère ne faire que deux jours. J'en ai un autre, il peut faire trois jours, il n'y a aucun problème. Mais par exemple, ce week-end (lors du Jumping de Monte-Carlo, ndlr), je ne vais faire que deux jours. Il faut quand même manager jusqu'à la fin de la saison d'été, en sachant que j'ai aussi la saison au Qatar. J’essaie de ne pas trop faire non plus. Je ne saute juste qu’une fois par semaine.

© Ljuba Buzzola

Pour terminer avec vos chevaux, vous avez aussi Triple T Calamando Blue, qui depuis bientôt un an enchaine les parcours en se classant régulièrement dans le Top 10, peut-on dire que c’est votre relève ?
C'est celui en qui je crois le plus. J'ai un bon feeling avec lui, on s'entend tellement bien. La première fois que je l'ai monté, j'ai tout de suite dit à mes propriétaires, celui-là, on va faire des miracles. Je l'adore. Il y a une véritable osmose entre lui et moi. J'y crois beaucoup, je pense qu'il sautera vraiment les grosses épreuves, donc oui, c'est la relève.
Vous avez terminé récemment les douzièmes du Grand Prix de Deauville avec I ‘Am Moerhorve’s Princess Z. Pensez-vous courir un Grand Prix cinq étoiles avant la fin de l'année ?
Je ne pense pas. On va faire quatre étoiles à Valkenswaard. Il faut quand même que je continue sur ma lancée, ce que je suis en train de faire sur trois et quatre étoiles. On est sur la bonne voie, donc je suis confiante. En revanche, un cinq étoiles, ce n'est pas facile d'y accéder. En France, il y a de très bons cavaliers, c’est donc plus difficile d’accéder à une compétition de ce niveau. Mais peut-être l'année prochaine à Doha, il y a des cinq étoiles. On va faire cinq étoiles si tout va bien en janvier ou février.
Est-ce que ça fait partie du planning : la tournée à Doha ?
Ah oui, Doha, chaque année !

© Ljuba Buzzola

Vous avez récemment vendu Come On Z à Ines Joly ?
C'était aussi un peu la relève. On l'a vendue à Inès Joly, parce qu'il faut aussi qu'on fasse tourner l'écurie. Mes sponsors m'aident financièrement, mais on veut quand même que ça se pérennise.
(La Française, Ines Joly gagnait ce même week-end son premier Grand prix cinq étoiles à Monte Carlo avec Ambassador Z, ndlr)

Quel est le cheval sur le circuit du Global que vous aimeriez monter ?

J'aime bien Singclair de Sophie Hinners. J'adore ce cheval.

Est-ce que vous avez d’autres montures pour la relève ?
Alors, j’ai aussi Van Gallettana Z, que je viens de récupérer en mars. On est encore au début. Mais nous faisons déjà de bons résultats, donc c'est bien. J'aimerais bien qu'elle performe sur 150. En ce moment, elle fait des bonnes performances sur 140 et 145. Il y a encore un petit peu de travail pour que l'on performe sur 1m50. On en a déjà fait une à Doha. Je voulais voir les sensations. J'avais fait quelques barres, mais le but, c'était vraiment de sentir son potentiel. Je suis confiante. Elle sautera des bonnes épreuves à 150 et peut-être sur 1m55 aussi. On ne sait jamais avec les chevaux. Ils peuvent nous surprendre.

© Ljuba Buzzola

La question des lecteurs :
Comment arrivez-vous à trouver des exercices pour vos chevaux ?
Je les fais en fonction du besoin de mes chevaux. Par exemple, si j'ai un cheval qui est un peu lent du geste de devant, je vais faire plus de gymnastique, plus de « in and out ». Si un cheval qui a un peu de mal à tourner, je vais travailler sur les tournants courts. Donc, je vais créer dans ma tête un exercice qui va m'aider à régler le problème. Je m'inspire aussi des parcours que j'ai faits et que j'ai vus. Je réfléchis à comment faire pour créer un exercice qui va m'aider. Puis après, je crée l'exercice en fonction de mes chevaux et aussi en fonction de moi. J’essaie de combiné les besoins de chacun.
Vous êtes aussi la créatrice de The Show Jumping Blog, un blog qui propose de nombreux exercices. Comment avez-vous eu l’idée de cette création ?
Vous faites bien vos devoirs !!!
Alors, en fait, je me disais... J’en ai assez d'avoir un profil à moi où je mets tous mes résultats et c'est que moi, moi, moi. Je me disais, avec tout ce que je sais, j'ai quand même envie d'apporter des aides aux cavaliers. J'ai envie que quand ils vont sur mon profil, ou un profil que j'ai créé, qu'ils trouvent quelque chose qui les aide, quelque chose pour eux. Mais pas forcément que mettre mes résultats. Donc, c'est comme ça que l'idée m'est venue. Je donnais beaucoup de cours à l'époque. C’est ainsi que je me suis dit, pourquoi ne pas transmettre tous mes exercices. Cela a commencé comme ça. Et ça a eu l’air de plaire, vraiment. J'ai eu beaucoup de followers d'un coup. C'est vrai que je n'ai pas trop le temps en ce moment de m'en occuper. Alors, ce n'est pas facile de maintenir le compte. Mais j'essaie. J'ai fait deux livres aussi, en mettant tous les exercices de l'année dans un e-book.

© Ljuba Buzzola

Merci déjà. Donc là, il nous reste trois questions phares. Mais avant, quels sont vos pronostics pour les cavaliers de l'équipe de France aux Jeux olympiques ?
Pour la team ?
Je pense déjà, c'est sûr, Julien Epaillard, Simon Delestre. Ensuite, en troisième, ça, c'est la question difficile. Est-ce qu'ils vont mettre Kevin Saut parce que c'est quand même un pilier solide. Est-ce qu'ils vont mettre quelqu'un de nouveau ? Franchement, le troisième, c'est un peu dur. Peut-être qu'ils vont garder ce qui a marché à Rotterdam. Et en réserviste, peutêtre François-Xavier Boudant.

(Les sélections sont tombées, Kevin Staut, Simon Delestre, Julien Epaillard et Olivier Perreau partiront aux JO de Paris 2024, ndlr)

Vous êtes coachée en ce moment par quelqu'un ?
Oui, en ce moment, je travaille avec Marcus Ehning, depuis mai. Donc, pour tout l'été, je suis basée chez lui et je m'entraîne avec lui. Et sinon, avant ça, au Qatar, j'étais entraînée par Cédric Triolet. C'est un entraîneur français de la FEI (Fédération Equestre Internationale, ndlr). Mais malheureusement, il s'en va. A la fin de l'année, je travaillerai toute seule. Je pense rester avec Marcus Ehning de loin pour quand je vais rentrer au Qatar. Mais l'été prochain, j'aimerais bien retourner chez lui.

C'est une très belle monte, Marcus Ehning !

Oui, il m'a fait vraiment progresser. En deux mois, la différence est assez incroyable. Je lui dois beaucoup parce qu'il m'a vraiment donné le maximum dont j'avais besoin et ce que je cherchais.

© Ljuba Buzzola

La question des lecteurs :
Comment décririez-vous l'équitation au grand public ? Et pouvez-vous expliquer, au grand public, les raisons pour lesquelles l'équitation est un sport ?
Je décrirais l'équitation, comme un art. C'est vraiment un art parce que je pense qu'il y a la technicité. Mais il faut que ce soit beau à voir. Donc oui, je dirais que c'est un art sportif. Je le décrirais comme ça ! Et puis, il y a la beauté d'avoir l'animal avec nous, d'avoir l'animal de notre côté. C'est un couple. Donc oui, c'est un art sportif avec le charisme du cheval.
Et pourquoi c'est un sport ? Ah oui, ça c'est sûr que c'est un sport ! Je le sens qu'il faut que j'aille à la salle de sport et qu'il faut que je fasse mon yoga le matin pour être au meilleur de ma forme sur mon cheval. Je ne dois pas le déranger par mes mouvements et être la plus précise possible.
Donc forcément, c'est un sport puisqu'il y a le côté physique du cavalier. Il y a aussi le côté physique du cheval bien sûr, je pense que pour être performant, il faut se maintenir physiquement. Ça, c'est sûr et certain.
Il y a de nombreux débats sur les changements apportés par la FEI. Quelle est votre opinion face à ces changements, le format trois cavaliers aux J.O. et la Ligue des Nations ?
Pour les JO, trois cavaliers, on sait tous que ce n'est pas assez. C’est un sport qui doit s’appuyer sur le cheval mais rien n’est prévisible. Ce jour-là, il peut ne pas être en bonne forme. Je ne pense pas que c'est cela qui va attirer le public. Moi, je suis contre ! Je pense que quatre cavaliers avec un dropscore, c'était ce qu'il fallait garder. Là, c'est difficile quand même. C'est vraiment difficile.
Alors, pour les Coupes des Nations, ça ne fait pas beaucoup. C’est sûr. Les concours sont très, trop nombreux. Il faut savoir quand même que les cavaliers doivent gagner leur vie. Ce n'est pas facile. Il y a des concours qui sont bien mieux dotés que les Coupes des Nations. C'est vrai que quatre, ça ne fait pas beaucoup. Je pense qu'il y a beaucoup de cavaliers qui préfèrent aller sur les global ( Global Champions Tour, ndlr) pour avoir une rentrée d'argent plus conséquente. Les Coupes des Nations, on sait bien qu'on les fait vraiment pour notre pays et pour le sport. Mais il y a la réalité des choses, c'est que notre sport coûte très cher et qu'il faut absolument quand même qu'on ait des rentrées pour pouvoir continuer.

© Ljuba Buzzola

Pensez-vous que les cavaliers de haut niveau doivent ouvrir les portes de leurs écuries pour montrer le travail effectué et montrer aux cavaliers de plus petits ce qui est fait en coulisse ?
Je pense que même s'ils ouvrent leurs écuries, ce n'est pas quelque chose qu'on peut voir en une fois. C’est ce qu’il faut voir au quotidien. Il faut comprendre que ce sont des êtres vivants et qu'ils ont des sentiments. Ce ne sont pas des humains, ils n'ont pas le même langage que nous. Je ne pense pas qu'ouvrir les portes des écuries, parce que je sais que les cavaliers le font tous. Mais le public ne le voie pas forcément. Par exemple, le Show Jumping Blog, il y a des moments où je fais des articles, des posts, en parlant de ce genre de choses. Parce que, justement, il y a beaucoup de gens qui ne prennent pas assez en considération qu'il y a un travail autre que juste monter et descendre. Il faudrait que les gens écrivent des livres pour transmettre le savoir. Plus de livres. Oui, c'est vrai. Plus de livres, encore plus de vidéos. Cela serait bien. Mais ouvrir les portes, je ne pense pas que cela soit bénéfique. Plus de vidéos où ces grands cavaliers expliquent et mettent l'accent là dessus.
Et la dernière question. Quelle est la place de l'éthologie et du bien-être équin dans le sport de haut niveau ? Et pensez-vous qu'ils sont assez pris en compte dans le milieu équestre ?
Alors, je pense que pour performer au plus haut niveau, il faut quand même avoir les chevaux de notre côté. Donc il faut quand même une complète compréhension de nos montures. Il faut parler leur langage et être au même. Il faut savoir comprendre un cheval. Par exemple, un cheval sensible qui ne veut pas faire ce qu'on veut qu'il fasse, il y a toujours une raison. Donc je pense qu'il y a une importance essentielle dans la compréhension de notre part, cavaliers, pour pouvoir performer au plus haut niveau. Il faut savoir parler leur langage pour obtenir ce que l'on veut d'eux. Et après, c'est vrai que je trouve qu'il y a quand même beaucoup de cavaliers qui ne pensent pas à leur bien-être. Je pense que les femmes pensent plus à ça que les hommes. Après, bien sûr, les meilleurs cavaliers du monde, on ne va pas leur apprendre, ils le savent déjà. Mais je dirais dans les plus petits niveaux, il y a beaucoup de gens qui ne donnent pas assez d'importance à cela. Ils utilisent le cheval comme une voiture et qui ne pensent pas assez au côté sensible des chevaux.

© Ljuba Buzzola

Je n'ai plus de questions. Est-ce que vous avez quelque chose à rajouter ?
Si je peux dire une chose. C’est que même si on fait de la compétition, qu'on a envie de gagner, et envie de réussir, je pense qu'il ne faut jamais oublier pourquoi on a commencé. Nous avons tous commencé parce que nous adorions les chevaux. On adore cet animal, ce compagnon. Je pense qu'il faut tout le temps se souvenir de… On fait de la compétition, on veut gagner. Mais on fait ça parce qu'on aime les chevaux d'abord. Ça, c'est quelque chose qui est important pour moi.
Nous vous remercions pour votre enthousiasme et ce temps consacré à l’interview.