Jean Luc Mourier
Bonjour Jean Luc,
Merci de nous accorder du temps pour cette interview. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et raconter votre évolution équestre ?
Qu'est-ce que je peux vous expliquer ? J’ai commencé la compétition assez tard, puisque j'ai fait mon premier concours à 23 ans. J’étais auparavant plutôt cavalier amateur, de loisirs. Je suis venu à la compétition grâce un ami, cela m'a bien plu. Mais donc assez tard, parce que je n'étais pas du tout professionnel, ce n’était pas mon activité principale. J'étais directeur d'un supermarché. Cela a été mon loisir jusqu’en 2000, j'ai quitté mon emploi. Avec la construction de mon écurie, je suis devenu professionnel.
Vous avez fait du concours, donc c'est sûr que vous avez eu des victoires et des défaites. Quelle est votre plus grande fierté et votre plus grande déception ?
Ma plus grande fierté, je dirais, c'est lorsque j'ai gagné mon premier Grand Prix 3 étoiles. C'était avec le cheval qui s'appelle, Souvienstoi La Riviera, et c'était à Lons-le-Saunier, il y a maintenant, je ne sais pas, peut-être 4 ou 5 ans. Mais c'est vraiment un très bon souvenir, parce que c'est un cheval que j'avais eu depuis l'âge de 6 ans. Je l’avais entièrement formé à la maison et il a progressé jusqu'au plus haut niveau, jusqu'à 155. Je n’ai pas une plus grande déception en général. Mais là où je suis souvent déçu, c'est quand on fait des championnats, où l’on part toujours avec plein d'espoir. Malheureusement cela ne se passe pas toujours comme on aimerait. J’ai gagné une fois un championnat, puisque j'ai été champion de France Pro (en 2011, ndlr). Mais je dirais que les championnats, c'est souvent assez difficile
Quels sont vos objectifs pour cette fin d'année ?
Alors, les objectifs pour cette fin d'année, c'est bien sûr de pouvoir faire de beaux concours. Ce que j'aimerais bien, c'est de pouvoir faire éventuellement une Coupe des Nations. C’est mon objectif ! Le fait de représenter la France et concourir en équipe est vraiment mon souhait. Et puis après, continuer avec mes chevaux qui sont en bonne forme et pouvoir faire du trois et quatre étoiles. Si une opportunité se présente, une ouverture, de faire du cinq étoiles, de temps en temps, ce serait très bien.
Et ça serait une Coupe des Nations de niveau 3 étoiles ou 5 étoiles ?
Une Coupe des Nations de niveau 3 étoiles ( soit de deuxième ligue, ndlr), je pense qu'il faut y aller crescendo, il ne faut pas y aller trop vite.
On va maintenant passer à vos chevaux. Quel est le cheval qui vous a le plus marqué dans votre carrière, et celui en qui vous croyez beaucoup ?
J'ai eu vraiment de très bons chevaux. Donc ils m'ont tous marqué. Certains étaient remarquables parce qu'ils sautaient plus haut que les autres et pouvaient faire des Grands Prix. Et puis d'autres remarquables aussi, très intelligents à l'obstacle, ils avaient tellement compris et étaient hyper performants. Mais ensuite, je pourrais dire que dans mes chevaux qui vont me venir le plus à l'esprit, il y a ce cheval qui m'avait permis de gagner mon premier 3 étoiles, qui s'appelle, Souvienstoi La Riviera. Puis aujourd'hui, j'ai deux chevaux de tête qui s'appellent Kielekoo (van T et L, ndlr) et Gravity (LCH, ndlr).
Bonjour à tous, alors que nous sommes sur la route du Jumping de Monaco, nous avons eu la chance d'interviewer Jean Luc Mourier. Un cavalier qui prends le temps avec ses chevaux. Il a récemment gagné une épreuve lors du 3 étoiles de Megève et le Grand National avec Quaker Brimbelles Z.


© THREINER
Vous avez acquis il y a un peu moins d’un an Gravity LCH, qui était monté par Nicolas Delmotte, peut-on dire que c’est votre cheval de tête ?
Oui, aujourd'hui, ça devient mon cheval de tête.
Vous avez aussi Kielekoo van T et L. Comment organisez-vous le programme de compétition entre lui et Gravity ?
Alors, là, les derniers deux concours auxquels j'ai participé, le global (Global Champions Tour, ndlr) à Saint-Tropez et à Cannes. J’ai eu besoin d'emmener les deux puisque les épreuves étaient vraiment de très haut niveau. Les épreuves étaient à 155 avec Kielekoo et 160 avec Gravity. En revanche, normalement, je les emmène plutôt à tour de rôle, c'est-àdire qu'ils vont faire plutôt un week-end sur deux et ils vont faire chacun les Grands Prix, en sachant que maintenant, Kielekoo commence à vieillir un petit peu, c'est quand même plus Gravity qui va pouvoir sauter plus haut.
Nous allons passer aux deux questions des lecteurs. Comment arrivez vous à trouver des propriétaires et à garder une collaboration durable ?
Avec les propriétaires se créent des relations sur la confiance. C'est-à-dire que la communication est très importante. Il faut absolument pouvoir tout dire à ses propriétaires. Ce qui n'est pas toujours facile, si le propriétaire n'est pas connaisseur du monde équestre ou de la compétition. Ce n'est pas toujours évident. Les propriétaires mettent beaucoup d'espoir dans leurs chevaux quand ils les achètent, souvent aussi beaucoup d'argent. Malgré tout, les résultats ne sont pas toujours aussi bons qu'escomptés. Et les résultats peuvent être en dent de scie avec des chevaux. On sait qu'aujourd'hui qu’avec un petit quatre points, vous sortez du classement dans le Grand Prix. Je pense qu'il y a plusieurs catégories de propriétaires. Mais ceux qui connaissent bien les chevaux, ceux qui ont fait eux-mêmes par exemple de la compétition ou qui ont une expérience de la compétition, sont ceux qui peuvent collaborer le plus longtemps. Et puis après, il faut vraiment qu'il y ait de la confiance, qui soit partagée de chaque côté. C'est-à-dire qu'une fois que le cheval est en forme et qu'il va bien, il ne faut pas que le propriétaire vous l'enlève pour le mettre chez un cavalier qui serait mieux classé et qui aurait la possibilité de faire des gros concours. Il faut vraiment avoir des relations de confiance. Donc, pour l'instant, ça se passe plutôt bien pour moi. Et je trouve aussi régulièrement des nouveaux chevaux parce que j'ai beaucoup d'amis partout en France et en Europe qui détectent des chevaux. Et puis lorsqu'ils pensent avoir trouvé une bonne monture, ils me l'envoient. Ils me le signalent, je vais l'essayer. Si je peux, je l'achète. Sinon, je le fais acheter par un propriétaire. J'essaye d'avoir toujours une participation dans un cheval. Comme ça, je maîtrise quand même un petit peu plus sa carrière. En tous cas, les chevaux qui peuvent faire du haut niveau, je les prends entièrement à mes frais. C'est-à-dire que les propriétaires n'ont plus rien à payer. Ils me confient leur cheval. Et si c'est un cheval qui peut être performant, en tout cas au minimum sur 140 ou 150 ou plus, les propriétaires n'ont plus rien à payer. Donc ça, c'est aussi intéressant pour beaucoup d’entre eux.
Pour finir sur les chevaux, vous préparez de nombreux jeunes. Sont-ils voués pour le commerce ou pour le sport ?
Pour les deux. Tous mes chevaux sont à vendre.
Vous avez récemment participé à deux étapes du Global Champions Tour. Envisagez-vous de vous engager dans une équipe l'année prochaine ?
Alors, bien entendu j'adorerais faire partie d'une équipe. Maintenant, forcément, ce n'est pas moi qui ai les moyens d’en financer une. Donc, si quelqu'un a besoin d'un coéquipier, je suis disponible…


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Nous avons nos trois questions phares. Il y a de nombreux débats sur les changements apportés par la FEI. Quelle est votre opinion face à ces changements, le format à trois cavaliers aux Jeux Olympiques et la Ligue des Nations ?
Alors, j'allais dire, forcément, je ne suis pas vraiment penché sur la question, je n'ai pas réfléchi beaucoup à ça puisque je ne suis pas vraiment concerné, mais je ne sais pas s'il y a vraiment des avantages ou des inconvénients à ce changement. Je pense que quatre cavaliers, c'était bien (jusqu’au Jeux Olympiques de Rio en 2016, chacune des nations avait 4 cavaliers par équipe mais seulement 3 comptaient. Il y avait un dropscore, ndlr.). Je ne sais pas pourquoi on est passé à trois. Est-ce qu’il y a des raisons, des motivations ? J'imagine que oui, mais je ne les connais pas, donc honnêtement, je ne suis pas tellement qualifié pour discuter de ça.
Je vous remercie pour vos réponses. Dans la continuité de cette question, comment faire pour qu'une écurie de haut niveau devienne pérenne ?
Alors comment faire ? Je ne sais pas s'il y a une recette miracle, la mienne dure depuis de nombreuses années et tout se passe bien. Je pense que cela dépend vraiment des clients que nous avons, du cavalier, de la personne qui gère l'écurie. Nous essayons d'axer notre écurie sur le bien-être du cheval, donc avec une nourriture qui est adaptée, avec de nombreux repas dans la journée. Les chevaux mangent au moins 5 fois par jour, ils sortent tous au moins 2 fois par jour de leur boxe, ils vont au paddock ou au marcheur, ils sont montés tous les jours, ils vont en trotting, enfin soit monté, soit longé. Les chevaux travaillent en tous cas 6 jours par semaine et il y a un jour où ils vont seulement au paddock. Nous avons beaucoup de parcs. Je pense que quand vous offrez un maximum de services, un maximum de confort aux chevaux, les gens n'ont pas envie de partir. J’ai des clients qui sont là depuis plus de 20 ans. C’est ma récompense.
Il nous reste nos trois questions phares, mais avant, quels sont vos pronostics pour l'équipe de France ?
J’ai beau en parler avec beaucoup, personne n'a vraiment d'idée précise, donc je pense que forcément, il y aura Julien Epaillard, il y aura Simon Delestre. Après, pour les autres, je ne me lancerai pas dans les pronostics.


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Vous nous devancez sur la dernière question. Pour vous, quelle est la place de l'éthologie et du bien-être équin dans le sport de haut niveau ? Pensez-vous que l'éthologie et le bien-être équin sont assez pris en compte dans le milieu équestre ?
Alors de toutes façons, dans le haut niveau, si on veut avoir des performances, il faut forcément que les chevaux soient en bonne forme, physiquement et mentalement. Donc j’espère que la plupart des cavaliers prennent le bien-être animal tout à fait en compte. Bien sûr, il y en a toujours certains pour qui ce n'est pas un point primordial. Je vais toujours prendre ce petit exemple qu'on m'a dit un jour, c'est que le cheval le plus intelligent ne saura jamais qu'un plus un, ça fait deux. Son cerveau n'est pas fait pour faire des calculs et des maths. Donc voilà, un cheval, c'est complètement différent d'un être humain. Ce n'est pas parce qu'un jour, il ne va pas vouloir très bien tourner à droite qu'on va dire : « il a décidé de me contrarier et de tourner à gauche ». Voilà, les chevaux réagissent toujours à des stimulations, et ils donnent une réponse à celles-ci. Ils vont réagir beaucoup à la pression, au confort, inconfort. Les cavaliers vont comprendre qu'ils n'ont pas besoin d'utiliser la force pour faire réagir un cheval. Après, bien sûr, ça passe aussi par le fait que ce sont des chevaux nomades, enfin les chevaux sont des animaux nomades qui ont besoin de bouger, donc il faut qu'ils sortent de leur boxe régulièrement. Ils ont aussi un système digestif qui fonctionne mieux lorsqu'ils sont en mouvement, pour éviter toutes les maladies, les coliques. Il faut l'expliquer aux propriétaires ou aux personnes qui montent à cheval. Je pense qu'il y a vraiment un manque d'explications, de communications.
Merci beaucoup pour cette interview et le temps consacré.
Comment décririez-vous l'équitation au grand public et pouvez-vous expliquer les raisons pour lesquelles l'équitation est un sport ?
Je pense que l’équitation pour le grand public, c'est très bien comme activité. C'est très bien pour les enfants, à mon avis. C'est important de leur donner des responsabilités, de s'occuper d'un être vivant, d'un animal. Après, oui, cela reste un sport, en tous cas pour nous aussi, parce qu'on monte beaucoup, on travaille beaucoup. Après, est-ce que pour le grand public, c'est un sport ou c'est un loisir ? Je ne sais pas trop comment le définir. Je pense qu'il y a quelque chose qui serait intéressant et qu'on ne sait pas suffisamment, c'est d'apprendre quelques bases d'éthologie. C’est-à-dire que les cavaliers connaissent mieux le comportement d'un cheval, comment un cheval réfléchit. Je pense qu'il y a beaucoup trop d'anthropomorphisme (L’anthropomorphisme est l'attribution de caractéristiques du comportement ou de la morphologie humaine à d'autres entités comme des dieux, des animaux, des objets, des phénomènes, des idées et voire à des êtres d'un autre monde le cas échéant., ndlr), c'est simplement parce qu'on ne leur a pas apporté suffisamment de connaissances sur ce qui se passe dans le cerveau d'un cheval. En tous cas avant de leur apprendre à monter, on devrait aussi apprendre aux futurs cavaliers comment fonctionne un cheval.